Flandre noire, un roman aussi sombre qu'un ciel de Flandre.
Flandre noire
Flandre noire, de Gilles Warembourg, paru en 2008 chez Ravet-Anceau
Une fois refermé, ce livre brûle encore sous mes doigts. Il brûle, mais il a déjà un goût de cendre. « Pierre, sang, papier ou cendre, j’écris ton nom… liberté», comme l’a écrit Paul Eluard. Cette liberté, Georges n’en veut pas. Il l’a désapprise. Elle est restée accrochée aux barbelés d’Auschwitz-Birkenau. Survivre à tout prix a épuisé sa force de vie. La mort lui colle désormais à la peau. Tant l’espace que la lumière lui sont intolérables après qu’il se soit blotti dans les ténèbres pour s’effacer, pour se faire oublier. Ne plus être pour exister encore. Rendre grâce à ses bourreaux de l’épargner pour un dernier sursis. Et, revenu au pays, un ultime sursaut né de sa capacité à s’indigner entrouvre une porte qui laisse filtrer un rai de lumière, un tremblement d’espoir.
Habilement, Gilles Warembourg n’impose pas à toute force son point de vue. Il sait ménager à ses lecteurs différents angles de perception du récit. Ainsi la scène des retrouvailles de Georges, l’instit, à son retour des camps « d’extermination » et non de « travail » comme s’appliquent à les qualifier les habitants de ce petit village des Flandres. Toute l’horreur contenue dans ce mot se refuse encore à émerger. Tout est question de regard. On peut voir des braves gens, enfin délivrés de la peur, manifester leur joie de retrouver un des leurs. Gauches et timides dans leurs expressions. Vaguement honteux de ne pas avoir autant souffert que leur instit. Un peu comme si ils étaient les uniques rescapés d’une catastrophe. Ou bien, des dissimulateurs de petites compromissions, de multiples arrangements avec leur conscience, « il fallait bien vivre ». Gilles Warembourg les portraiture sans complaisance. Yvonne, l’épouse du maire est « boudinée dans son amabilité construite », elle « glousse la bouche pleine », lors du repas des retrouvailles auquel participent tous les habitants. « C’est donc cela la paix ? Rien que la haine qui chuchote ? », s’interroge Georges. Et puis, il y a la fermière, Marcelle, propriétaire de la moitié du village, qui a su profiter de ces périodes troubles pour s’enrichir ignominieusement. Mufle et revêche, elle est à l’image de son malinois, « arc-bouté au bout de sa chaîne (…), les canines découvertes et les yeux injectés ». Ces deux-là seront l’axe autour duquel va s’animer l’intrigue de ce roman plombé comme un ciel de Flandre.
JF Zimmermann
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