Lire en prison
LIRE EN PRISON
Nous sommes dans la bibliothèque, « le seul endroit de la prison qui nous la fasse oublier », me dit-on. Ils sont une douzaine à s’être réparti les sièges disposés en demi-cercle autour de nous deux, Christelle Descamps et votre serviteur. Avant même que nous nous présentions, les questions fusent. Manifestement, nous avons à faire à des lecteurs assidus, curieux comme de coutume de connaître notre parcours, ce qui nous a poussés à écrire et qui nous motive encore.
- Est-ce difficile d’écrire ?
- C’est selon. Cela demande d’être exigeant envers soi-même et d’y consacrer beaucoup de temps …
- Combien de temps faut-il pour écrire un livre ?
- C’est selon. Cela dépend de la pagination, de la documentation, de l’âge du capitaine …
- Dans quelles conditions écrivez-vous ?
- C’est selon. Chez moi, dans un café, dans le train, jamais en voiture surtout lorsque je suis au volant !
- Etes-vous gêné par le bruit ?
- C’est selon. Les bruits diffus ne me dérangent pas, mais la musique "boum-boum" me rend fou ! Le pire c’est le marteau-piqueur !
- Quelles sont vos lectures ?
- C’est selon. Rarement contemporaines, souvent en rapport avec les siècles que nous fréquentons. Nous lisons "utile"…
- Comment s’y prend-t-on pour être édité ?
- C’est selon. Des romans régionaux s’éditent plus facilement en faisant appel à des éditeurs régionaux, la littérature générale, c’est plus difficile…
- Cette activité est-elle lucrative ?
- C’est selon. En ce qui nous concerne, elle ne l’est pas ! Sur les deux cent-cinquante auteurs qui sévissent dans notre région, on peut compter sur les doigts d’une seule main ceux qui en vivent…
- Que pensez-vous du livre de Valérie ?
- Paul ?
Mon interlocuteur se tortille sur son siège, sentant venir le piège.
- Euh, non, la femme du président !
- C’est selon. De sa prose, il n’y a pas grand-chose à dire, mais c’est tant mieux pour l’éditeur qui pourra investir ses bénéfices en prenant des risques sur de nouveaux auteurs, de talent, ceux-là…
- Combien de livres avez-vous écrit ?
- C’est selon. Si on compte ceux qui sont édités, pour Christelle, deux, et pour moi, trois. Christelle a un manuscrit en attente d’édition, et moi deux.
La bibliothèque du centre de détention avait en sa possession un résumé des deux tomes de sa « Saga solarienne ». Heureuse initiative du bibliothécaire qui permit à plusieurs détenus de se familiariser avec l’œuvre de Christelle avant de la lire intégralement après notre passage.
- J’ai lu le premier chapitre. Je ne serais pas étonné d’apprendre que vous ayez un rapport très proche avec la nature. Seriez-vous fille d’agriculteur ?
Christelle acquiesce. Elle est étonnée de tant de perspicacité.
Elle lit ce premier chapitre. Son univers est celui des Temps futurs, le mien, celui du passé. Notre point commun : l’utopie d’un monde idéal.
- Lisez nos ouvrages, vous serez alors à même de méditer sur ces sociétés chimériques … en forme de promesses électorales !
Les franches et cordiales poignées de mains qui concluent notre "intervention en milieu carcéral" sont autant de satisfecit délivrés par toute l’assemblée.
Jean-François ZIMMERMANN
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