Le Temps des Mots sur Radio-Boomerang
Fred, animateur sur RADIO-BOOMERANG
"Le Temps des Mots"
Mars 2011 sur RADIO-BOOMERANG 89.7 mhz
Durée de l'émission : 1 heure
Genre : à caractère culturel. Littérature générale et poésie.
Animateurs du TEMPS DES MOTS : Bruno Morello, poète et Fred.
Retranscription. On peut poadcaster cette émission sur le site de RADIO-BOOMERANG : www.radioboomerang.com
Présentations :
Bruno Morello (BM), Fred (F), animateurs et Jean-François Zimmermann (JFZ), auteur.
Objet : Une heure autour de « L’apothicaire de la rue de Grenelle »
JFZ - Je suis nordiste depuis peu, depuis un an et demi. Je viens de Bretagne, je suis né à Paris, ma mère était d’origine Ch’ti, très exactement lensoise.
BM - Pourquoi avez-vous accepté notre invitation au TDM ?
JFZ - J’ai pensé qu’il s’agissait d’une émission littéraire, une émission d’une heure, ce qui change des cinq minutes que l’on nous accorde habituellement pour présenter un livre. Ce qui est un peu court. Le TDM est une émission qui laisse du temps au temps.
BM - Qu’avez- vous écrit avant ce premier roman ?
JFZ - « L’apothicaire de la rue de Grenelle » dont il est question aujourd’hui, est en fait le deuxième roman que j’ai rédigé, mais le premier publié. Le précédent est une histoire qui se déroule au Moyen Age, pendant la première croisade. Ce manuscrit n’est donc pas encore publié. Pourquoi être passé du Moyen Age au XVIIème, voilà qui peut paraître surprenant d’autant que la langue est différente, mais c’est en effectuant des recherches en documentation qu’en cours d’écriture à un moment où mon personnage principal emprunte une galère, que je tombe sur les mémoires d’un certain Jean Martheille, protestant, condamné aux galères pour fait de religion. Ces mémoires, émouvants, m’ont donné envie d’écrire quelque chose sur ce thème. Entre le projet et ce que l’on couche sur le papier, il y a souvent une grande marge. La preuve, dans la version définitive de « L’apothicaire », le sujet consacré aux galères n’occupe qu’une trentaine de pages. On n’est pas maître de sa plume, on est porté par les personnages que l’on créé et l’on en devient les esclaves. (Construction d'une galère sur le port de Marseille)
BM - Votre premier manuscrit dont l’intrigue se déroule au Moyen Age n’a pas été édité, pourquoi ?
JFZ - Il ne l’a pas été, mais il ne va pas tarder à l’être car il vient d’obtenir le premier prix du roman des Arts et Lettres de France.
F - Votre écriture est attachée à l’époque que vous décrivez, est-ce la langue utilisée à l’époque, le vocabulaire ?
JFZ - Il m’a paru important de travailler sur la langue du XVIIème et de rédiger en utilisant pour la partie narrative le vocabulaire de l’époque. La syntaxe est d’aujourd’hui pour procurer au texte une certaine rondeur qui la rende aimable et lisse. Les dialogues sont émaillés d’expressions d’époque. Des renvois en bas de page permettent de comprendre les mots oubliés ou désuets. Dans les lettres échangées entre les personnages du roman sont respectés, vocabulaire, orthographe et syntaxe du XVIIème. Rassurez-vous, c’est très facile à lire !
BM - L’accent employé à l’époque était très différent de celui d’aujourd’hui. Il paraît que les Québécois l’ont conservé, qu’en pensez-vous ?
JFZ - Effectivement. Le « R », par exemple, était prononcé d’une façon très rocailleuse, alors que le « R » d’aujourd’hui … n’a l’air de rien !
BM - Oui, très jolie expression !
JFZ - Je laisse aux historiens le soin de développer. Je ne suis qu’un plumitif qui cherche à s’instruire.
F - J’ai là sous les yeux votre livre ouvert et j’y lis une expression que je trouve géniale : « il est le mauvais œuf d’un mauvais corbeau ». Alors, Bruno, qu’est-ce que cela signifie ?
B - J’avoue que je n’en sais rien !
F - Eh bien, il s’agit du mauvais fils d’un mauvais père. Je vois aussi beaucoup d’humour. Je ne puis résister au plaisir de vous lire ces quelques vers :
- Profitez des plaisirs
De la chair tarifée.
Venez la sentir,
Mon seigneur étoffé.
Songez qu’en votre absence,
Votre épouse n’est point seule,
Qu’elle se frotte la panse
A un coquin veule.
Allez ! Baisez mes fesses.
Contre espèces sonnantes,
Je tiendrai mes promesses
En parfaite amante.
Priez pour mon âme,
Et sentez mon cul,
Je serai votre dame,
Pour moins d’un écu.
B - Ces vers me font penser à deux poètes : François Villon et Georges Brassens pour le côté libertin.
JFZ - Oui, on peut imaginer les chanter sur les accords d’une musique de Brassens.
F - Priez pour mon âme,
Et sentez mon cul,
Je serai votre dame,
Pour moins d’un écu.
JFZ - Il a ouvert le livre au hasard et il a fallu qu’il tombe sur un passage coquin !
F - Jean-François Zimmermann va maintenant nous lire un extrait de « L’apothicaire de la rue de Grenelle », pour le Temps des Mots.
JFZ - Je place d’abord l’extrait dans son contexte. Le personnage principal est Alexandre Lasalle, médecin protestant, né à Paris, intègre humaniste perpétuellement en conflit avec la Faculté et son doyen Guy Patin dont Molière s’est beaucoup moqué. Donc, Alexandre Lasalle est sans trop d’illusions sur la médecine de son époque. Cet homme installe son officine chez un apothicaire. Il est sans descendance. Il lui lègue à sa mort, son apothicairerie et son laboratoire d’alchimie dans lequel il poursuivait ses recherches sur l’or potable, ce fameux élixir de longue vie appelé aussi le Grand Magistère. Alexandre Lasalle est un homme soucieux de ses semblables et il poursuit les travaux de son prédécesseur. Alexandre Lasalle est marié à Gabrielle Serrières qui est catholique. Donc mariage mixte, dérogation obtenue grâce à Turenne qui ne s’était pas encore converti. De cette union naît Martin. Gabrielle apprend par son oncle, le Père Antoine Serrières, que son marin la trompe. De désespoir, elle se laisse mourir lors de l’accouchement de Paul, le second fils, sans savoir que la maîtresse de son époux n’est autre que sa meilleure amie, Anne de La Peyrrière.
Voilà plus d’une semaine que Gabrielle est dans les douleurs. La souffrance endurée se lit sur son visage. Les poches noires sous ses yeux trop brillants, son souffle court, ses mains qui agrippent nerveusement les bords de son drap, ses mâchoires qui se crispent pour réprimer ses cris sont autant de signes d’un accouchement imminent.
François Mauriceau dont la renommée de chirurgien accoucheur a grandi depuis la naissance de Martin, deux années auparavant, se rend chaque matin rue de Grenelle. Après avoir examiné Gabrielle, il retrouve Alexandre au salon.
- Mon cher confrère, cet enfant ne veut point voir le soleil. J’ai de nouveau administré à votre épouse un vomitif pour provoquer les spasmes, mais rien n’y fait.
- Je ne comprends pas. Elle ne supporte plus ma présence. Elle refuse que je lui administre des soins.
- Son oncle m’a confié qu’elle s’oppose à ce que l’enfant soit extrait à force au moyen d’un instrument. Elle craint qu’il ne vienne mort-né.
- Elle a sans doute raison, mais cette situation ne peut s’éterniser.
- Ce matin, elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « s’il y a un choix à faire, privilégiez l’enfant. Ma vie présente moins d’intérêt que celle qui est à venir. » Je crains que si l’on passe outre sa volonté, on ne perde et la mère et l’enfant.
- Seigneur ! Que comptez-vous faire ?
- Si vous m’y autorisez, il n’y a plus qu’un moyen, que personnellement je réprouve.
- La césarienne ?
- La césarienne.
F - Voilà un premier extrait dit avec talent. On imagine que la césarienne était sinon interdite du moins peu recommandée ?
JFZ - Tout à fait. Mais on passait outre. Il fallait à l’époque non pas conserver l’enfant, mais la Mère. C’étaient les catholiques qui le préconisait, les protestants étaient moins à cheval sur ce principe.
BM - Je suis époustouflé par le travail de documentation, presque au niveau de chaque mot.
JFZ - Il y a en effet un travail sur chaque mot. Il fallait que je trouve un juge, car il faut parfois trancher. Mon juge est le premier dictionnaire de l’Académie Française, écrit par Antoine Furetière et publié en 1690. C’est un dictionnaire encyclopédique de plus de deux mille pages, aujourd’hui accessible en téléchargement sur le site de la BNF.
F - Il y a un travail sur la langue, mais il y a aussi un travail sur l’Histoire pour restituer l’ambiance de l’époque. Outre les recherches chronologiques, il y a les faits ?
JFZ - Il faut lire, beaucoup lire, et puis encore lire ! Pour un travail de 10 on en ressort 0,1 utile au récit ! Il faut étudier le travail de plusieurs historiens simultanément pour en faire une synthèse après recoupements. Leurs regards, nécessairement différents, sont enrichissants.
F - Avez-vous refait relire votre roman par un historien avant parution ?
JFZ - Non. Quitte à paraître immodeste, je ne pense pas qu’il puisse être attaquable sur le plan historique tant j’y ai apporté de soin. Comment ai-je procédé pour intégrer les personnages de fiction dans l’Histoire en compagnie des personnages historiques ? Il arrive que des personnages de fiction côtoient des personnages historiques, mais de telle manière que leur action ne puisse jamais influencer la réalité historique. Il arrive que je dissimule dans les plis inexplorés de l’Histoire certains événements, scènes ou situations fictives.
F - D’où l’astuce pour ne pas choquer les puristes.
F - Quel est l’extrait de ce deuxième passage ?
JFZ - De l’union passagère d’Anne de La Peyrrière et d’Alexandre Lasalle naît Elizabeth. Anne ne révèle rien de la paternité de l’enfant qu’elle attribue à Charles, son époux, vieillard sénile et impuissant. Alexandre a engagé Jeanne Roquette, fille de son jardinier, pour s’occuper de ses deux enfants. Jeanne Roquette était auparavant femme de chambre d’Anne de La Peyrrière et fut violée et engrossée par le beau-fils d’Anne, Blaise de La Peyrrière. Alexandre Lasalle passe de plus en plus de temps dans son laboratoire. Pour combler son vide affectif, il accueille Jeanne dans son lit.
Les enfants sont couchés. Le silence de la nuit n’est plus troublé que par les bruits de la rue, les cris de quelques noctambules éméchés, les sabots d’un cheval qui claquent sur le pavé de la rue de Grenelle, les ordres secs des "archers des pauvres", cette police spéciale qui procède à des rafles de vagabonds pour les enrôler de force dans l’armée ou sur les galères du roi. La faim fait sortir le loup du bois. A Paris, ce sont les argotiers, les sabouleux, les convertis, les coquillards, tous regroupés dans ces cours des miracles identiques à celle de la rue Neuve-Saint-Sauveur, près de la porte Saint Denis. Il ne fait pas bon s’attarder dans cette nuit lourde d’angoisse qui vous incite à vous retourner dès qu’un pas se fait entendre dans votre dos : passant honnête, mauvais garçon, tire-laine ? Pourtant, le Lieutenant de police Nicolas de La Reynie ne ménage pas sa peine pour ramener l’ordre dans la capitale. Il vient d’appréhender un laquais du duc de Roquelaure et un page de la duchesse de Chevreuse, surpris à battre un étudiant sur le Pont-Neuf. Battu à mort. Le jugement ne s’est pas fait attendre et les deux tortionnaires ont été pendus en place de Grèves, malgré les appels à la miséricorde de leurs maîtres respectifs.
Et puis, c’est parfois le cri torturé du chant d’amour d’un chat, sorti tout droit de l’enfer, qui fait aboyer un chien.
Son ouvrage terminé, Jeanne rejoint son maître dans son lit. Elle est discrète, maternelle, à la fois aimante et amante, et lui, tendre, généreux et reconnaissant qu’elle lui rende supportable son vide affectif.
Après le viol dont elle a été victime, la jeune femme a cru qu’elle ne pourrait plus jamais approcher un homme, supporter ce contact dont elle n’a connu que la brutalité. Un soir, il a niché ses deux mains dans les siennes, les a portées à sa bouche, les a tendrement baisées et les a plaquées contre ses joues comme pour encager sa tête. « Je désire entrer dans cette prison d’amour, je te veux ma geôlière. » Il a murmuré des mots doux. « Je sais tes souffrances. Tu n’as connu de l’amour que la brutalité, la possession outrée. Partageons nos misères et offrons-nous à Eros. » Elle ne savait pas qui était Eros, mais le nom lui semblait doux à prononcer. Il l’a longuement caressée. Passive, elle a fermé les yeux, mais lorsque son vit, dur comme un bâton, a tenté de se frayer son chemin entre ses cuisses, elle s’est effrayée. Elle s’est refermée telle une huître. Il n’a pas insisté. « Demain, après-demain, peu importe, pose ta tête sur ma poitrine et dors. Tu es en paix. »
Elle prit l’habitude de venir s’allonger aux côtés d’Alexandre qui dut attendre un mois avant qu’elle ne s’offre à lui. Un mois durant lequel il l’a apprivoisée par ses caresses. Un mois pour lui apprendre patiemment les gestes de l’amour, pour qu’elle s’accoutume à ce sexe raide et conquérant qui lui avait causé tant de douleurs physiques et morales, qu’elle le frôle, l’effleure, l’enlace puis l’étreigne jusqu’à ce qu’il pleure sa semence, tiède et visqueuse, et enfin le sente dans sa main, humide et tout petit, son arrogance d’oriflamme en berne.
Et puis, une nuit, elle a ouvert ses cuisses et a guidé elle-même le membre raidi de désir vers de nouvelles terres de jouissances.
BM - Bravo ! (…)
F - Je tiens à vous féliciter pour cette belle lecture. C’est prenant. Et il y a le verbe qui est porté par la voix ! (…) Pourquoi le choix spécifique de cette période ? Y a-t-il un message qui apporte un regard sur la période présente ?
JFZ - J’aurais garde d’apporter un message. Je ne suis pas un écrivain à message. Alors pourquoi cette période ? J’ai volontairement placé ce récit dans les vingt années qui ont précédé la révocation de l’Edit de Nantes parce que c’est une période de tension. Cette tension est présente tout au long du récit. (…) La migration des huguenots, principalement vers la Hollande, a rendu la France exsangue. Colbert, puis Vauban avait pourtant bien prévenu Louis XIV (…)
F - Eros est présent au long des deux extraits que nous avons écouté. Est-ce un choix ou est-ce imposé par l’Histoire ?
JFZ - Il ne faut pas oublier que c’est aussi une période libertine. Lire Bussy-Rabutin, le cousin de la Marquise de Sévigné. (…) Dans ce livre, il est question d’amour, mais aussi d’aventure. Le personnage principal va être embastillé, mêlé à une conspiration contre le roi, la conspiration de Rohan qui visait à établir une république en Normandie, un siècle avant la Révolution !
F - Parlez-nous des Editions du Bord du Lot que nous saluons au passage. Comment s’est faite la rencontre ?
JFZ - C’est un éditeur généraliste. Il lance chaque année un concours de manuscrits. Je lui avais donc adressé le mien l’an dernier, malheureusement un peu trop tardivement. Je n’ai donc pas participé au concours, mais j’ai eu la surprise de recevoir un coup de téléphone de sa part pour me faire part de tout l’intérêt qu’il apportait à mon travail et qu’il était disposé à l’éditer.
BM - C’est donc une édition à compte d’éditeur ?
JFZ - Oui.
BM - Jean-François a fait sienne une réflexion de Jean d’Ormesson, académicien, « Pour moi, écrire est difficile, mais ne pas écrire est impossible ».
JFZ - Je me suis approprié cette citation qu’il avait prononcée lors d’une émission littéraire sur ARTE. Elle est conforme à mon état d’esprit.
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