Dîner-conférence au Lions Club de Clermont

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   Dîner-conférence au Lions Club de Clermont

Par Jean-François ZIMMERMANN

 

   Le 27 février 2015, 20 heures.

   J'étais invité à discourir des amours de LOUIS. Vaste programme que celui d'évoquer Louis IV et Cupidon !

   J'ai rédigé un document traitant de ce sujet sur lequel je me suis appuyé pour cette conférence et vous le livre, à suivre.

   

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Louis XIV et Cupidon

 

   Versailles, quarante ans de travaux.

    Bien sûr, on ne peut dissocier Versailles du Roi-Soleil, mais il y a eu un avant et un après.

Versailles louis xiii 

    L’avant, c’était ce petit pavillon de chasse où Louis XIII aimait à se retirer, loin de la cour et de ses obligations, près de la nature, entouré de quelques fidèles avec lesquels il partageait sa passion pour la chasse. Louis XIII n’aimait pas sa femme, Anne d’Autriche, ni son frère, Gaston de France, et ceux-ci le lui rendaient bien. Ils se moquaient bien de ses souffrances (entéropathie chronique). Pour preuve, le jour où il reçoit les derniers sacrements, il entend des rires fuser de la garde-robe. C’étaient la Reine et Monsieur qui se réjouissaient de cette fin prochaine.

 Louis xiii de champaigne   Anne d autriche portrait

   (Louis XIII et Anne d'Autriche)

   Louis XIV est né vingt-trois ans après la nuit de noces complètement ratée de ses parents, (ils avaient tous deux quatorze ans, ils étaient vierges et ils étaient niais). Louis XIII ne fréquentait guère la Reine et l’on peut compter sur les doigts de la main le nombre de fois où le couple fit couche commune. Le roi était de santé chancelante et Richelieu avait envisagé d’entrer dans le lit royal pour y mener une étrange et bien audacieuse intrigue : il voulait donner au trône un héritier qui fût de son sang et grâce auquel il aurait perpétué son pouvoir.

220px louise de la fayette 1(Louise Angélique de Lafayette

   Louise Angélique de Lafayette, dame de compagnie d’Anne d’Autriche, était amoureuse du roi, prude austère et timide, qui nourrissait pour elle un amour platonique. Craignant que cette passion chaste ne prit chair, elle se retira au couvent des Visitandines de la rue Saint-Antoine. Le roi s’y rendait parfois pour s’entretenir avec elle. Le 5 décembre 1637, en fin de journée, il quitte le parloir du couvent où il a passé plusieurs heures avec Louise Angélique qui lui a recommandé, une fois encore, de rejoindre le lit conjugal, au Louvre. Il n’a toujours pas d’héritier. Il n’a pas l’intention de suivre son conseil, il veut se rendre au château de Saint-Maur. Le Ciel en décide autrement. Un orage éclate et transforme les rues en torrents. Le capitaine des gardes déconseille au roi de rejoindre Saint-Maur où l’attend un château froid et vide de meubles car on ne l’y attend pas. Il cède. Il s’en va souper au Louvre. Neuf mois plus tard, Louis Dieudonné voit le jour.

   Or, la reine était amoureuse de Mazarin. Union de cœur et union charnelle. Les mauvaises langues ont sifflé. On a prétendu que Louis XIV était le fruit de cet amour adultère. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, la science a tranché, Louis XIV est bien le petit-fils d’Henri IV.

   Il est roi à cinq ans sans en exercer les responsabilités confiées à la régente et surtout à son premier ministre, Mazarin.

Mazarin

   En 1645, il a sept ans, c’est l’âge de raison, « l’âge de la conscience morale ». Des mains des femmes, il passe à celles des hommes, mais on se désintéresse de son éducation de prince. Lorsqu’il joue avec d’autres enfants, il tient à tenir le rôle du valet. Il craint Mazarin et ne l’aime pas. Mal habillé de vêtements usés et rapiécés, il vit comme une petit pauvre. Le contraste est frappant avec les autres enfants des familiers.

   Entre Louis et son frère cadet, l’entente n’est pas toujours parfaite. Un jour que la Cour est en déplacement, Louis émet le souhait que son frère couche dans sa chambre. Mais la chambre est très petite. Les deux lits sont serrés l’un contre l’autre. Le matin, en s’éveillant, en oubliant la présence de son frère, Louis crache sur le lit de Philippe qui réplique aussitôt. La riposte royale ne se fit pas attendre, cette fois sur le visage de Philippe. Furieux, celui-ci saute alors sur le lit du roi et pisse dessus. Louis en fait autant. N’ayant plus de quoi ni cracher, ni pisser, ils en viennent aux mains.

   Isabelle de chatillon

(Isabelle de Châtillon)

   Quelques années plus tard, il a dix ans, il musarde parmi les cotillons. La reine veille à ce quelque gredine ne s’empare de la virginité de son fils. Dans les couloirs du château, les filles se préoccupent de la sensualité du jeune roi. Elles tentent d’attirer son attention par des œillades assassines, des décolletés plongeants, des mouches en « baiseuses » tout près de la bouche. Toutes rêvent d’être la première !

   1651, il a treize ans, Isabelle de Châtillon se flatte d’avoir chatouillé le membre royal. Si bien chatouillé qu’il aurait éjaculé ! On veut savoir comment elle a pu déjouer la surveillance d’Anne d’Autriche. Cette dernière apprend le fait. Elle  renvoie l’intrigante de la Cour. Désormais, chaque soir la reine veille à ce que Louis soit couché, seul. Elle inspecte les draps chaque matin. Une vilaine rumeur court. Lors d’un voyage à Melun, Mazarin aurait abusé du jeune roi. Afin d’être sûre que Louis ne s’entiche pas d’une gourgandine, Anne va lui livrer en pâture une de ses dames de compagnie. Il s’agit de la baronne de Beauvais, surnommée « Cateau La Borgnesse ». « Plus que galante, fort audacieuse », dit d’elle Saint Simon. Elle ne craint pas l’enfer puisqu’elle est la maîtresse de l’archevêque de Sens. Elle est laide, elle est borgne, elle a dépassé la quarantaine et perdu une bonne partie de ses dents, son visage est piqué de vérole. Vérole qu’elle lui laissera en souvenir de leurs rapports étroits car c’est à ces premières galipettes qu’il lui devra son visage grêlé. La princesse palatine affirmera plus tard que ce cyclope féminin « a appris au roi tout ce qu’il faut faire avec les dames ». De fait, Louis ne se contente pas d’une leçon. Il retourne la voir de temps en temps. Anne d’Autriche sait la remercier. Elle lui offre suffisamment de bijoux et de pierres précieuses pour qu’elle puisse s’acheter l’hôtel de Beauvais, à Paris. Louis y ajoutera deux mille livres de rentes.

  Mais les autres donzelles ne se calment pas pour autant. Mademoiselle de Marivaux dégrafe son corsage par inadvertance lorsque Louis la croise. Il faut croire que les appâts ainsi dévoilés ne manquent pas d’attraits car quelques années plus tard le roi aura une brève liaison avec la belle marquise. Mais la tentation la plus redoutable du moment se situe dans la personne de Mademoiselle de La Motte-Argencourt.  Saint-Evremont la décrit ainsi : « Blonde aux yeux bleus, aux sourcils noirs, et splendidement charpentée, Mlle de La Motte-Argencourt avait eu l’audace, un soir au bal, d’inviter le Roi à danser, et elle n’avait pas été sans remarquer que “ sa Majesté était devenue pâle et ensuite fort rouge” et que “la main avait tremblé au Roi tout le temps qu’elle avait été dans la sienne” ». La reine sermonne Louis et fait envoyer Lucie au couvent. L’affaire est ainsi réglée. Mais toutes ces brebis sont bien tentantes et Louis ne rêve que de les rejoindre la nuit. Bravant les interdictions, il grimpe aux étages. Anne fait placer des grilles et des barreaux. Il s’en souviendra. À Versailles, il n’y aura ni grilles ni barreaux aux fenêtres. Le danger semble écarté, mais voilà que surgissent les « mazarinettes », les trois nièces de Mazarin, Laure, Olympe et Marie. Durant tout l’été 1656, on voit Olympe et le roi bras dessus, bras dessous. Elle n’est pas très belle, mais ses yeux sont pleins de feu. On jase. Mazarin la marie au comte de Soissons. Louis jette alors son dévolu sur Marie. C’est le début d’un conte de fée.

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 (Marie Mancini)

   C’est sans doute parce qu’elle l’aime d’un amour sincère que Louis s’éprend de Marie Mancini avec toute la fougue de ses jeunes années.

   Elle est infiniment plus cultivée de lui. Elle éveille en lui le goût des arts. Le regard brûlant de l’Italienne enflamme son cœur et son esprit. Les deux tourtereaux ne cachent pas leur amour. Ils sont jeunes, beaux et insouciants. Ils jouissent des regards envieux posés sur leurs personnes. Pour lui, c’est évident, Marie sera la reine. Oui, mais voilà, Anne d’Autriche et Mazarin envisage un tout autre parti pour le jeune roi. Ils travaillent à consolider la paix avec l’Espagne, la Paix des Pyrénées. La future reine de France devra être espagnole.

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   Marie-Thérèse a vingt ans et un peu de moustache. On fait la leçon au jeune roi. On lui rappelle les devoirs de sa charge. On lui enseigne la raison d’État. Il pleure beaucoup en arrachant son cœur à celui de sa bien-aimée. « Tu épouseras l’Espagne », lui ordonne sa mère. Racine s’inspire de ce drame pour créer son Bérénice qui dit à Titus : « Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez ! », ce qui est à peu de choses près ce que dit Marie à Louis : « Vous pleurez, et vous êtes le maître ! »

   Marie est exilée à La Rochelle sous la surveillance de Madame de Venel. Les deux amants continuent de correspondre en couvrant d’une encre brûlante des dizaines et des dizaines de feuillets. À genoux, Louis supplie sa mère de renoncer à ce funeste projet. Elle est sur le point de céder. Mazarin parle de démissionner  si sa nièce épouse le roi. Enfin, Louis renonce, mais cet amour contrarié continuera, sa vie durant, de saigner comme une blessure béante.

   Louis ne sait pas à quoi ressemble Marie-Thérèse, celle qui devra bientôt partager sa couche et subir ses virils assauts. Seul Monsieur de Grammont l’a vue lors de son audience avec Philippe IV. Le roi d’Espagne, tout vêtu de noir, impassible et livide, n’a même pas répondu aux compliments de l’ambassadeur. Il est victime d’un terrible mal d’estomac qui le contraint à ne se nourrir que de lait de femme. Il tête une nourrice quatre fois par jour. Grammont raconte ce qu’il a vu : « On m’a mené devant la reine et l’infante. Engoncées dans leurs vertugadins et prisonnières de leurs corsets, elles étaient figées comme des poupées de cire. Marie-Thérèse a de beaux cheveux, des yeux bleus et de grosses lèvres ». Il aurait pu ajouter qu’elle avait des dents noires, couleur due à l’excès de consommation de chocolat.

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(Philippe IV, roi d'Espagne)

   Le voilà fiancé, mais il ne pourra faire la connaissance de sa future que lors de la cérémonie nuptiale qui est fixée au 9 juin 1660, à Saint-Jean de Luz. Le portail par où pénètrent  les deux jeunes gens pour entrer dans l’église est muré derrière eux. Nul ne le franchira après eux. La jeune épousée est dotée de 500 000 écus d’or par son père, en échange de quoi elle renonce à toute prétention sur le trône d’Espagne. Somme qui ne sera jamais versée et que l’Espagne doit toujours à la France !

  Mariage de louis xiv

   (Mariage de Louis XIV et Marie-Thérèse d'Autriche)

   À l’entrée de Paris, en tête du cortège avancent au pas les soixante-douze mules du cardinal Mazarin, suivies de sa litière, vide. Son Éminence, minée par la maladie, se tient au balcon de l’hôtel de Beauvais. À son côté figurent Turenne, Anne d’Autriche et Henriette de France. Le roi caracole fièrement sur un cheval au harnais dégoulinant de pierres précieuses tandis que la reine suit en voiture découverte. Le cortège passe l’arc de triomphe du Marché-Neuf. Tous les balcons sont garnis de spectateurs. Une belle inconnue, une certaine Françoise d’Aubigné, épouse d’un poète cul-de-jatte, admire le jeune souverain. Elle est bien loin de s’imaginer qu’elle aussi sera un jour reine de France.

   L’après, c’est le Versailles d’aujourd’hui, peuplé de millions de visiteurs, mais cependant désert.

  Avant que ce lieu ne devienne le centre du monde, le jeune roi Louis le quatorzième en appréciait comme son père le charme rustique. En outre, l’endroit était propice aux amours discrets. Dès 1660, il envisage de procéder à des  agrandissements. Il acquiert les villages de Trianon, de Choisy-aux Bœufs, les seigneuries du Vivier et de la Boissière. Il reçoit dans le parc, la Cour entière, mais celle-ci ne peut loger dans le modeste pavillon de chasse de Versailles. Alors, chaque soir, les invités rentrent chez eux. Ceux qui sont trop fatigués dorment dans leur carrosse !

1660

   Mazarin est mort. Cardinal, il n’aura pas eu le temps d’être ordonné prêtre. Maigre à faire peur, les jambes réduites à l’os et couvertes d’ulcères, la peau fripée tachée de marbrures violettes, la gorge et les poumons brûlants à force de quintes de toux, goutteux, insomniaque, victime d’un œdème pulmonaire et d’une néphrite aiguë, il succombe à une crise d’urémie malgré tous les soins dont on l’a entouré, pensez donc, plus de quatre-vingt lavements !

La mort de mazarin

   Et Louis ne peut retenir ses larmes.

 1661

Vaux le vicomteNicolas fouquet

(Nicolas Fouquet) 

   Vaux-le-Vicomte est le terreau de Versailles.

   Le 5 septembre 1661, Nicolas Fouquet, surintendant des finances, est arrêté sur ordre du roi par le lieutenant des mousquetaires, monsieur d’Artagnan. Il est couramment admis que Fouquet a commis l’imprudence d’étaler ses richesses devant le roi lors de la fête de Vaux-le-Vicomte[1] et ainsi excité sa jalousie. Ne serait-ce point une idée reçue ? 

   Nommé surintendant des finances par Mazarin, Nicolas Fouquet exerce cette charge durant neuf ans. Le cardinal a grand besoin d’argent pour mener à bien le conflit interminable qui oppose la France à l’Espagne. Nicolas Fouquet accentue le terrorisme fiscal. À la mort de Mazarin, le royaume est en paix avec ses voisins, mais ruiné. Louis décide alors de gouverner seul. Il constate avec effarement  l’impuissance fiscale de l’État. Il voit l’immense fortune amassée par Mazarin, puis par Nicolas Fouquet. Alors, sur les conseils de Colbert, il prend en mains le recouvrement des impôts et envisage de supprimer la charge de surintendant des finances. Mazarin étant mort, il s’en prend à Fouquet[2]. Lorsqu’il se rend à la fameuse fête de Vaux-le-Vicomte, le sort du surintendant est déjà scellé. Son procès va durer trois ans, il est condamné au bannissement, mais le roi juge le jugement trop clément et aggrave la sentence en le condamnant à la réclusion perpétuelle. Il sera tenu au secret dans la forteresse de Pignerol durant quatorze ans jusqu’à sa mort. Il cohabitera sans le savoir avec un autre prisonnier dont on ne connaîtra jamais l’identité : « l’homme au masque de fer ». Pour que Louis XIV existât, il fallait que Fouquet disparût.

   Si Louis XIV a échappé à la bougritude, il n’en est pas de même de son frère cadet, Philippe. Anne d’Autriche veut marier Monsieur qui se prend pour Madame. Henriette-Anne d’Angleterre est désignée pour cette rude mission. Elle a dix-sept ans, elle est belle, beaucoup plus belle que la reine Marie-Thérèse. Autant cette dernière est gauche, empruntée, autant Henriette est délurée. Curieusement, Philippe trouve ce jouet séduisant. Durant deux semaines, il ne jure que par elle, mais ne résiste pas longtemps à son amant, le chevalier de Lorraine, jaloux comme un tigre. Il assumera néanmoins ses devoirs d’époux car entre 1661 et 1669, il l’engrossera à six reprises. Accouplements obligés car Henriette se lasse aussi très vite de cet homme grassouillet, à la démarche gauche d’échassier perché sur de ridicules chaussures rouges à haut talons, affublé d’un grand nez et d’une bouche garnie de dents gâtées, parfumé à l’excès, poudré, fardé, enrubanné et couvert de bracelets et de bijoux.

Henriette anne d angleterre

(Henriette-Anne d'Angleterre et Philippe d'Orléans)

   Quant à Louis, il n’est pas insensible aux charmes de sa belle-sœur qui multiplie les occasions de se retrouver en situation favorable avec le jeune souverain. Ils dansent ensemble, ils font du cheval, Henriette ne cesse d’aguicher le roi. L’été 1661 est un été caniculaire. Elle se baigne nue dans les bois où elle sait que Louis aime se promener et ne manquera pas de l’y croiser. Anne d’Autriche veut rompre les relations "incestueuses" de son fils et de sa belle-fille. Incestueuses car il ne faut pas oublier qu’Henriette est l’arrière petite-fille d’Henri IV ! Il faut cacher cette liaison, faire croire à la Cour que Louis en aime une autre et qu’Henriette sert d’alibi, de paravent. On choisit une timide jeune femme récemment débarquée de sa province et affectée d’une claudication acquise à la suite d’une mauvaise chute de cheval. C’est Louise de La Vallière.

Louise de la valliere

(Louise de La Vallière)

   Alors, entre Louis et Henriette, s’agit-il d’un amour platonique ou d’un amour charnel ? Quand on connaît la mâle attitude de Louis, on peut douter qu’il n’ait pas poussé plus avant son avantage ! Et peut-être même que toutes les grossesses d’Henriette ne sont pas imputables à Monsieur !

   On attache donc Louise à Henriette en tant que fille d’honneur. Le stratagème semble bien fonctionner. Ce qu’Anne d’Autriche n’avait pas prévu c’est  que le roi s’entiche de la fille d’honneur. Et surtout, que cette dernière s’éprenne sincèrement du roi ! Louis est ravi. Il trompe sa mère, il trompe sa femme – qui vient d’accoucher –, il trompe Henriette – qui est grosse, elle aussi, mais de qui ? –, et il trompe aussi son frère ! Il pousse la perversité jusqu’à convier à un souper à Versailles toutes les femmes qui orbitent autour de lui. On y voit les officielles, les temporaires, celles qui espèrent, celles qui voudraient bien, mais qui ne peuvent pas, celles qui ne peuvent pas, mais qui voudraient bien. Louise est modeste et pieuse. Elle ne manque pas de grâce et certains ont l’audace de la courtiser. Brienne, notamment, mais qui renonce vite. Guiche, un compagnon de jeunesse de Louis qu’il considérait avec hauteur estimant que celui-ci, manquant de vivacité manquait aussi d’esprit. Le roi fronce les sourcils et Guiche abandonne la partie, avec mauvaise grâce ce que Louis gardera en mémoire.

1662

    Louise est trop proche du roi. Cette proximité inquiète. Fouquet qui avait des espions partout avait tenté de la corrompre avec vingt mille pistoles, de quoi s’offrir un manoir en province. Il ne pouvait imaginer que cette frêle et discrète jeune femme était vraiment amoureuse et désintéressée. Elle fait part à son royal amant de cette indignité. Raison supplémentaire pour le roi de se débarrasser de Fouquet. Mais son sort était déjà réglé.

   Henriette est jalouse : « Quoi ! Préférer une petite bourgeoise de Tours, laide, sèche, boiteuse, à une fille de roi, ce que je suis ! ». Marie-Thérèse l’est aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Elle ne tolère les infidélités de son royal époux qu’à la condition qu’elles soient de son rang. « Ah, la catin, la putain, la salope ! », preuve que l’Espagnole a bien intégré le vocabulaire de son pays d’adoption ! Insultée, humiliée, brocardée dans de multiples libelles :

Soyez boiteuse, ayez quinze ans.

Pas de gorge, fort peu de sens,

Des parents, Dieu le sait ! Faites, en fille neuve,

Dans l’antichambre de vos enfants,

Sur ma foi vous aurez des diamants :

Et La Vallière en est la preuve !

   La pauvre louise n’en peut plus d’autant qu’à la suite d’une petite fâcherie d’amoureux, elle s’imagine que son amant s’est lassé d’elle. Tout en pleurs, elle court se réfugier au couvent de Chaillot, celui-là même qui a accueilli l’un des tout premiers amours de Louis, Mademoiselle de La Motte-Argencourt.

   On écrit :

Adieu Chambord, Trianon et Versailles,

O palais enchantés

Je vais pleurer entre quatre murailles

Je les préfère à vos beautés.

 

   Apprenant cela, dissimulé sous un manteau gris, Louis se précipite au couvent. Quelques vieilles nonnes nullement impressionnées lui en refusent l’entrée. Survient la supérieure qui juge plus prudent de ne pas s’opposer au roi. Louise est en prière lorsque des pas virils se font entendre dans le corridor. Elle les reconnaît, elle tremble. Il entre : « Venez, Mademoiselle, le Ciel ne vous a point appelée dans ce couvent, et je ne souffrirai pas que la crainte vous y retienne ». « Je dois y rester pour obtenir le pardon de mes fautes ». « Non, Mademoiselle, n’espérez pas que j’y consente. Vous êtes à moi, vous me suivrez ». De grâce, sire, ne m’exposez pas de nouveau à la juste colère de la reine ». « La reine ! elle sait qu’elle est aussi ma sujette. Sa colère se taira ». « Je vous en supplie, ô mon roi ! laissez-moi reconquérir la paix de l’âme ». « Mademoiselle de La Vallière, je vous ai priée de me suivre, maintenant, je vous l’ordonne ».

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(Le couvent de Chaillot, au XVIIème)

   Après un sermon de Bossuet qui stigmatise leur amour, Louise se refuse à Louis. Toujours pour le détourner de La Vallière, on place alors Anne-Lucie de la Mothe-Houdancourt sur son chemin. Elle est une des filles d’honneur de la reine, très convoitée des courtisans. Rouée et rodée, la belle a de l’expérience. Elle a, notamment, été la maîtresse de Fouquet. Il est d’usage à la Cour que lorsque le roi porte attention à une jeune personne, les prétendants se retirent. Le chevalier de Grammont, lui, est audacieux jusqu’à prétendre d’en entreprendre la conquête. Louis est jaloux, c’est un trait de son caractère. Demi-dieu, il ne tolère pas que puisse être détourné de lui la moindre parcelle d’amour. Sans y mettre autrement de délicatesse, il expédie son rival en exil, en Angleterre.

   Mais l’intrigante se refuse à lui. Louis grimpe sur les toits du château de saint-Germain, court sur les gouttières et lui parle au travers d’une cloison disjointe. La Motte résiste. Madame de Navailles, qui a la charge de veiller sur l’honneur des filles d’honneur de la reine et de la reine-mère, fait murer les portes et forger des grilles. Dans la nuit, Louis fait déplacer ces grilles. On s’étonne le lendemain extraordinaire et le roi déclare : « Ce sont les esprits qui sont responsables de ce désordre ! ».

   La Motte est prête à se rendre, mais elle y pose une condition : le renvoi de La Vallière. Il refuse. Elle jette à son nez les pendants d’oreille qu’il vient de lui offrir et elle ajoute, impertinente : « Je ne me soucie ni de vous ni de vos pendants, puisque vous ne voulez pas quitter La Vallière ! ». L’intrigante en sera pour ses frais.

   Louise aime sincèrement le roi. Elle se donne à lui, sans retenue et en affrontant les flammes de l’enfer. Ils se voient souvent à Versailles Quand ils ne se voient pas, ils s’écrivent. Mais le roi est occupé par les devoirs de sa charge, alors il confie à Dangeau, un de ses proches, le soin de rédiger ces lettres. Louise, embarrassée pour répondre, s’adresse elle aussi à Dangeau qui se garde bien de lui révéler qu’il est la plume du roi !

   La reine accouche d’une petite Anne-Élizabeth qui décède deux mois plus tard. Le roi n’est pas insensible à cette perte et Louise, cœur sensible, pleure l’enfant de Marie-Thérèse.

 1663

   Louis s’amuse, mais aussi Louis travaille. Il organise l’État et en rétablit les finances. Louise est désintéressée. Elle ne sollicite jamais son prince. Depuis que Louis lui a fait quitter son service auprès de Madame, elle mène une vie étroite, fort retirée, dans un très modeste pavillon d’un étage, rue Richelieu, dont le roi lui a fait cadeau. Mais Louis est toujours aussi jaloux. Pendant une revue, il surprend un sourire entre Louise et un jeune Cadet. Il lui demande d’un ton sévère : « Qui est ce jeune homme ? ». « C’est mon frère, sire ».

   Il lui faut dissimuler à la Cour sa première grossesse. Elle emprisonne son corps dans un carcan de fer. Elle saute, elle danse, elle fait du cheval. Au huitième mois, il faut songer à l’accouchement. C’est Colbert qui est chargé de mener à bien cette tâche, en toute discrétion.

   Moins d’une semaine après sa délivrance, Louise paraît, le 24 décembre, à la messe de minuit aux Quinze-Vingt, « fort pâle » et « fort changée ». De l’union d’une mère sans époux et d’un père sans enfant est né un enfant sans père et sans mère.

   Cette première grossesse et le harcèlement qu’elle subit quotidiennement de la part de ceux qui veulent l’évincer jouent sur sa santé fragile. Elle s’amaigrit et s’enlaidit, mais le roi ne s’en aperçoit pas. il continue de l’imposer à la Cour, aux fêtes et aux repas.

 1664

   Marie-Thérèse accouche d’un enfant noir et velu, dit-on. Il paraît qu’elle aurait croisé le regard d’un jeune Maure ! Le nouveau-né décède quelques jours plus tard, au grand soulagement de tout le monde. Toute la famille est désolée.

   Louise est de nouveau enceinte.

 1665

   Louise accouche d’un jeune garçon qui ne survit que quelques mois. On tente, une nuit, de s’introduire chez elle par effraction. Louis décide de faire garder le palais Brion. Il aime Louise, mais ne se prive pas pour autant de quelques incartades. Madame de Monaco, née Grammont, effectue quelques cabrioles en sa compagnie. Son cousin, un certain Lauzun, un cadet de Gascogne, de petite taille, bien cambré pour ne pas en perdre un pouce, raide autant sur ses jambes que dans son langage, flatteur envers les puissants, a une haute opinion de lui-même. Enamouré de sa cousine, jaloux, il la suit dans tous ses déplacements, déguisé en postillon. Il est le témoin d’une aventure entre celle-ci et le roi. Il la menace de tout révéler à son époux le prince de Monaco, mais la princesse prend les devants et informe le roi de ce chantage. Lauzun est aussitôt gratifié d’un pourpoint de pierre, autrement dit « embastillé ».

 1666

   Anne d’Autriche meurt d’un cancer du sein. Louis peut désormais laisser libre cours à tous ses débordements. Athénaïs de Mortemart de Rochechouart, marquise de Montespan, femme d’esprit agréable, nourrit l’ambition de faire succomber le roi. Physiquement, elle a tout ce qu’il faut là où il faut. Mais La Vallière est toujours en grâce. La marquise se rend alors chez une chiromancienne, magicienne et empoisonneuse, la Voisin, très consultée par force gens de qualité. Cette redoutable personne est prête à pactiser avec le diable pour débarrasser ses clients qui d’une épouse ou ‘une maîtresse, qui d’un mari ou d’un amant, ou s’attirer les grâces d’une belle personne. Coquins et coquines se pressent à sa porte. Pour l’aider dans sa tâche, la Voisin fait appel à un certain Guibourg, sorcier empoisonneur de son état. Ce personnage à l’œil tourné à la loucherie, est prieur d’un prieuré situé près du Mont Saint-Michel. Contre argent sonnant et trébuchant, assisté de François Mariette, prêtre de Saint-Séverin, il prononce des messes noires. La Montespan fait appel à ces sinistres et inquiétants personnages pour célébrer une de ces diableries destinée à détacher La Vallière du cœur du roi.

Messe noire 1

   Allongée sur le dos, nue, sur l’autel de la chapelle d‘un château de Villebousin, elle expose son ventre à la lueur des cierges. La messe commence.  Au lieu du baiser coutumier consacré porté sur la pierre de l’autel, Guibourg, l’officiant, baise la peau nue et frémissante du ventre de la dame sur lequel il a déposé la croix et le calice. Il consacre l’hostie au-dessus du sexe de la femme et y introduit un fragment du pain sacré. Acheté un écu à une pauvre mère, un nouveau-né est porté au-dessus de l’autel. Le prieur prononce les phrases rituelles des messes noires : « Astaroth et Asmodée, je vous conjure d’accepter le sacrifice que je vous présente, pour les choses que je vous demande ». La femme couchée sur l’autel formule son vœu : « Je demande l’amitié du roi et qu’il quitte et ne regarde plus La Vallière ». À l’aide d’un couteau, Guibourg tranche la gorge de l’enfant et fait couler le sang dans le calice. On emporte l’enfant et on représente quelques instants plus tard son cœur et ses entrailles avant de les calciner et de les réduire en poudre. Cette poudre sera utilisée bien plus tard dans certaines boissons qu’avalera le roi à son insu. Sera plus tard également concernée par cette mixture, la duchesse de Fontanges, dernière maîtresse du roi, morte dans sa prime jeunesse.

   Des rumeurs de mariage concernant Louise se font entendre. On veut la marier au duc d’Aumale.

   Nouvel accouchement dans la douleur. C’est une fille : Marie-Anne. Elle deviendra plus tard Mademoiselle de Blois.

 1667

   Marie-Thérèse est de nouveau grosse. Louis fait La Vallière duchesse.

   Louise est grosse pour la sixième fois.

  La Montespan entre en scène, le sort de Louise est scellé, mais elle cohabite avec Athénaïs.  

***

Mme de montespan

   On ne peut nier la vigueur toute masculine dont le roi fait preuve. La Montespan tient à être et demeurer le plus longtemps possible la favorite. Lorsqu’elle est enceinte, ou simplement indisposée, elle sait glisser dans la couche royale chambrières et servantes qui ne risquent pas de lui porter ombrage. Ces « victimes consentantes » sont toujours largement dédommagées. A Versailles et tout autour de Versailles, les nobles qui arrivent de leur province peuvent s’offrir les services d’une professionnelle. Les auberges ne manquent pas. Le couvert, le coucher et la fille sont facturés un sou. Ces établissements spécialisés sont situés en bordure des villes, d’où leur nom de « bordeaux » qui a donné « bordels ». La population masculine est importante à Versailles. Entre les ouvriers et les soldats, on dénombre plus de 60 000 hommes. Au pied de chaque arbre du bois de Versailles, on aperçoit une fille qu’il est aisé d’effeuiller en toutes saisons.

Marie-Thérèse est morte.

   Tout passe, tout lasse et tout trépasse. La marquise de Montespan qui vient d’être faite duchesse s’est enlaidie après avoir donné au roi huit enfants. Elle mange beaucoup, mais elle boit encore plus. Elle dépense une fortune au jeu. Louis rembourse ses dettes, 700000 écus.

Veuve scarron

(La Veuve Scarron, future Mme de Maintenon)

  Françoise d’Aubigné, la veuve Scarron, est la gouvernante des enfants légitimés de Louis et de la Montespan. Femme austère, pieuse et dévouée, beaucoup plus brillante intellectuellement qu’Athénaïs, elle vit dans l’ombre, mais Louis éprouve beaucoup de plaisir à converser avec elle.

   La Montespan ne voit pas le coup venir. Celle qui va devenir la marquise de Maintenon est plus âgée que le roi, mais elle sait gagner son cœur. Elle se laisse prendre dans un bosquet et met toute sa science à rendre cet instant inoubliable.  Elle succède à la Montespan qui sera consolée par un splendide château et une confortable pension. Elle présente au roi une jeune beauté de moins de vingt ans : Mademoiselle de Fontanges. La taille fine, souple, élancée. Les roses sont ternes auprès de l’éclat satiné de sa peau. Belle,très belle, mais « sotte comme un panier », dit d’elle Madame de Sévigné. Rouée, Madame de Maintenon sait qu’elle n’a rien à craindre. D’ailleurs, le roi souffre de l’entendre parler.

 1683

Le roi épouse secrètement Françoise d’Aubigné, Madame de Maintenon.

Mme de maintenon

 (Madame de Maintenon)

    Louis et les femmes

   Il ne peut résister aux passions qu’elles suscitent, et celles-ci sont plus fortes que sa raison. Les infidélités dont il se rend coupable envers ses maîtresses attitrées sont des passades qui sont « de la menue monnaie d’adultère ».

   Louis a eu 6 enfants de Marie-Thérèse, 7 de Louise de La Vallière, dont 1 non reconnu, 8 de la Montespan, 1 de la femme de chambre de la Montespan, 1 de la duchesse de Fontanges, 1 de madame de Rohan-Chabot et que son mari, le prince de Soubise, complaisant, reconnaîtra.



[1] La fête fut grandiose. Préparé par Vatel, un souper fut servi à 3000 convives.

[2] Fouquet était atteint de la malaria. Les crises, à répétitions, l’épuisaient. Il était un cyclothymique qui passait par des périodes d’enthousiasme fébrile à de moments de profonde dépression. On le soignerait aujourd’hui ses troubles bipolaires avec des sels de lithium.

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